«C’était l’un des plus grands et meilleurs photographes que le monde ait connu.» Le commentaire vient du président brésilien Lula, exprimé avec émotion à l’annonce du décès de son compatriote Sebastião Salgado (1944-2025). Le natif d’Aimorés, dans le Minas Gerais, est décédé vendredi à Paris d’une leucémie sévère, maladie provoquée par une forme de malaria contractée en Indonésie en 2010. Il s’y était rendu pour Genesis (2013), son dernier grand projet, traque mondiale des lieux et peuples vierges de toute influence de la société contemporaine.
Avant l’écologie, l’économiste devenu photographe s’était intéressé à la migration, à la famine ou au travail, réalisant des clichés mémorables au Sahel ou au cœur de la gigantesque mine d’or de Serra Pelada, en pleine Amazonie. Des photos présentées dans d’innombrables expositions et publiées au gré d’épais volumes écoulés à des centaines de milliers d’exemplaires, avec l’aide de Lélia Wanick Salgado, l’épouse et fidèle associée du photographe.
Les images de Sebastião Salgado ont souvent été critiquées pour leur esthétisation du travail et de la souffrance humaine, rendue attractive à coup de pétrole, de boue ou de sueur couvrant ses sujets, à Serra Pelada ou au Koweit. C’est «l’inauthenticité du beau et l’esthétisation du malheur», a ainsi sèchement résumé l’essayiste étasunienne Susan Sontag. Alors que Le Courrier consacrait en 2008 un dossier à la controverse, le philosophe italien Maurizio Ferraris prenait toutefois la défense de Salgado: «S’il fallait toujours séparer souffrance et esthétique, on en viendrait à interdire la tragédie grecque.»
Depuis 2010, ce sont plutôt les incohérences environnementales du Brésilien qui sont pointées du doigt. Alors que le documentaire Le Sel de la terre (2014) de Wim Wenders célébrait une formidable entreprise de reforestation du domaine familial des Salgado, le projet Genesis, avec sa trentaine d’expéditions dans autant d’endroits reculés, souffrait quant à lui d’un bilan carbone des plus désastreux.
Lorsque le Musée de l’Elysée lausannois a exposé Genesis en 2013, Le Courrier regrettait d’ailleurs que le photographe soit devenu une sorte d’hybride entre l’écolo-hélico Yann Arthus-Bertrand et Bono, pour le volontarisme apolitique et le fundraising décomplexé. Car l’aventure aux confins de la Terre avait en partie été financée par Vale, géant brasilo-mondial de l’extraction minière, avec siège à Saint-Prex, élu «pire société de la planète» par les Public Eye Awards. Comme toute photo noir et blanc, Salgado aura célébré le clair, c’est évident, mais aussi une part d’obscur.